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Pourquoi l’Humanité ?

Derrière ce très beau conte graphique qui imagine le passage du néolithique aux premières civilisations sur le site de Göbekli Tepe, inscrit au patrimoine mondial  de l’UNESCO, se déploie une réflexion philosophique sur le sens de l’existence et de la mort, la vie en société, la construction patriarcale et religieuse de nos civilisations et notre rapport à la nature : « Il y a un vide en l’homme, (…) un abîme profond que rien ne saurait combler. C’est ce qui le rend si triste et avide. Il continuera de prendre et d’amasser. Jusqu’à ce qu’un jour, la terre lui dise : tu m’as consumée. Je n’ai plus rien à te donner. » A noter une recherche intéressante dans l'utilisation d’icônes et de symboles au service de la construction elliptique du récit et la présentation de diverses tribus imaginées comme autant d'organisations sociales possibles.

Du cauchemar au rêve américain

Une histoire de souffrance virile, pourtant pleine d’émotions au sein d'une famille dysfonctionnelle. La malédiction semble s’être abattue sur la vie de Doug, un adolescent perdu dont le seul lien qui le rattache au monde est le baseball. Mais à travers les barreaux de cet environnement hostile, des humains bienveillants et sa résilience l’aideront à surmonter les épreuves les plus dures et à se construire un avenir. Avec en toile de fond l’Amérique des années 1960 avec la Guerre du Vietnam, Apollo et Woodstoock et des clins d'oeil à son histoire artistique, comme Audubon. Et comme support un style graphique expressif et symbolique porté par un rendu de papier fortement grainé recouvert tantôt de couleur, de noir et blanc crayonné et d’inversion de traits blancs sur fond noir, entrecoupés de cases en pleine page.

Conte d’enfance sur la différence

Dans ce conte dessiné, pour enfants, s’opposent deux attitudes humaines face à la vie et à la norme. D’un côté le monde majoritaire de la conformité,  qui fait preuve d’intolérance, de haine et de rejet pour tout ce qui ne lui ressemble pas. Et de l’autre, le monde de la liberté et du danger de vivre ses différences dans une subculture en marge de la société. C’est dans ce dernier monde, celui des « sorcières », que pourra survivre et s’épanouir Martino, le jeune héros, un enfant à la peau trop blanche, qui préfère élever des insectes plutôt que de les tuer et aider ses sœurs plutôt que ses frères et qui petit à petit fera sien son destin de « sorcière ». Une histoire pour narrer l'espoir que, dans un lieu caché, existent l’entraide et l’amitié pour tous ceux et toutes celles qui doivent survivre dans un environnement hostile.

Quand les auteurs italiens renouvellent l’art de la narration franco-belge

Portée par le dessin de Miguel Vila, cette œuvre participe du renouvellement esthétique et narratif de la BD européenne avec son style minimaliste composé de petites cases qui s’agencent de manière différente à chaque page et ses contours précis et dessinés qui empruntent à la ligne claire. Mais si Chris Ware, à qui l’on ne peut s’empêcher de penser, utilise ce style pour pénétrer petit à petit dans l’inconscient des personnages, c’est à un récit uchronique et fantastique que nous sommes conviés. Un mélange de délires underground, de science-fiction, d'intrigue policière avec ses personnages cyniques et de réalisme historique sur le fascisme italien et ses conséquences sur la société de l’époque. Un objet dessiné non identifié comme l’OVNI au centre de cette intrigue.

Le noir est une couleur chaude

Cette adaptation de l’œuvre de Cormac McCarthy permet à Manu Larcenet de déployer toute la puissance de sa représentation de la noirceur du monde et son peu d’espoir dans l’Humanité. Une apothéose macabre et funeste après Blast et Le rapport de Brodeck. Un graphisme sombre duquel jamais aucune lumière n’émerge et qui multiplie à l’infini les visions d’horreur. Si ce conte de la catastrophe déploie une philosophie de l’inéluctable et de la disparition de notre civilisation, la peinture de l’enfance emplit l’œuvre d’une touche de chaleur et d’espoir. Chaleur d’un père pour qui l’enfant devient le seul bien à protéger. Chaleur de la naïveté d’une conscience qui grandit et qui face à l’atrocité voit s'éveiller des valeurs morales et de bienveillance. Un cri d’espoir symbolique lancé dans le brouillard de notre monde ?