Quand filment les femmes : d'Alice Guy, pionnière du cinéma, à Agnès Varda

Un cinéma inclassable et unique.

Figures singulières du cinéma français, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet furent un couple inséparable qui réalisa dans une complicité intellectuelle absolue l’ensemble de leur filmographie, jusqu’à la mort de Danièle en 2006. Intransigeants dans leurs techniques cinématographiques, sonorisant par exemple en direct l’ensemble de leurs œuvres, ils se considéraient comme des artisans, en opposition à l’industrie cinématographique. En faisant le choix de ne filmer que des adaptations d’œuvres littéraires et musicales, leur production reste inclassable, entre documentaire et fiction. Un très beau livre qui documente et rend hommage à ce cinéma d’orfèvre en décortiquant leurs principaux films.

Alice Guy, double pionnière du cinéma.

A la fois pionnière dans la réalisation de films de fiction, Alice Guy fut aussi pionnière dans l’utilisation du son synchronisé au cinéma, aussi bien pendant les tournages que les projections. Bien avant l’avènement du cinéma parlant dans les années 1930, permis grâce à l’enregistrement du son directement sur la pellicule, Alice Guy utilisa les procédés de phonoscènes, mis au point par la société Gaumont à partir du phonographe, pour donner naissance à un cinéma synchronisé manuel. Cette description minutieuse de la naissance du cinéma sonore pendant l’ère du muet est très bien illustrée et documentée et séduira aussi bien les curieux, les scientifiques que les passionnés d’histoire du cinéma.

Ce que le cinéma doit à Alice Guy.

Fruit de multiples influences éducatives entre la France et le Chili, téméraire et pleine d’éloquence, Alice devra apprendre jeune à gagner sa vie et à affronter le monde après la mort prématurée de son père ruiné. Intéressée par le théâtre et employée par hasard par le fondateur de la société Gaumont, elle deviendra vite indispensable à l'entreprise tout en y apprenant les arcanes du cinéma naissant auprès des plus grands savants de l'époque comme Etienne-Jules Marey. Elle se retrouvera alors au cœur de la naissance de ce nouvel art dans une France en pleine ébullition, capitalistique et scientifique. Une bande dessinée très instructive sur les débuts du cinéma qui rend hommage à cette pionnière restée longtemps dans l’oubli, au destin digne d'un drame hollywoodien.

Une histoire du cinéma au féminin.

De La Fée aux choux, 1896, à Women, 2020, cet ouvrage se présente comme une histoire parallèle, au féminin, du cinéma. Parallèle, puisqu'une majorité des films choisis ont pour héroïnes des femmes. Parallèle aussi, grâce à cette sélection de chefs-d’œuvre qui couvrent toutes les époques, tous les continents et tous les genres. Parallèle enfin, grâce à la découverte de trésors oubliés, méconnus et souvent précurseurs, comme par exemple le film d’animation de Lotte Reiniger Les aventures du Prince Ahmed, de 1926, annonçant des décennies à l'avance l’esthétique de Michel Ocelot ou comme Les petites marguerites de Vera Chytilova, film tchèque et libertaire de 1966. Un ouvrage très didactique qui propose pour chaque film une description claire et instructive.

Photographies d'un chef d’œuvre.

Film révolutionnaire dans l’histoire du cinéma et précurseur souvent méconnu de la Nouvelle vague, Le petit fugitif est filmé caméra à l’épaule, en téléobjectif, sans budget et en décors réels dans la rue. Il brouille les pistes entre documentaire et fiction en étant un représentant accompli de l’influence de la photographie de rue sur le cinéma et ouvre la voie au cinéma underground américain. Les magnifiques photographies de l’ouvrage rendent hommage au réalisateur et à la réalisatrice du film, photographes de profession et précurseurs de la photographie documentaire new yorkaise. Très bien documenté et publié dans une édition bilingue français-anglais, cet ouvrage est aussi une plongée au cœur de la réalisation de ce film improbable et novateur.